jeudi 25 juillet 2013

Résidence partagée

Nous avons apporté de la cuisine les coupes et le champagne sur un plateau. Il n'était pas frais, alors nous avons déposé un peu de glace pilée au fond des verres. J'avais un accroc à la manche droite de ma veste et trois trous de mites au niveau des épaules. Ta robe cachait heureusement l'une de tes trop rares paires de bas. C'était notre dernier galop, une grâce de plus, comme si nous avions épuisé tous les privilèges que l'on pouvait accorder aux habitants de ce monde.

Pourtant, malgré les ravages qui pouvaient se lire sur nos visages, l'âge inévitable et quelques difformités, toi, par abus d'alcool en compagnie de tes "grands seigneurs", moi par trop de rêveries consumées en un tapis de cendres froides et sèches à mon âme, nous ne pensions rien cacher, à personne, au contraire, nous faisions le bonheur de tant d'invités ou de ceux qui nous prenaient pour hôtes. Un couple de chevêches dans le grenier qui nous rejoignait parfois dans le salon, quelques souris gambadant entre les pieds des tables et qui leur servaient souvent de dîner. Et nos amis papillons de nuit qui nous empêchaient de dormir en se cognant aux ampoules brûlantes, car même fenêtres ouvertes, nous ne désirions éteindre la lumière.

Nous étions inséparables, une folie identique nous avait touchés à deux âges différents et au même instant. Selon tes dires, car tu avais une façon bien à toi d'envisager ce drame, si le reste du monde devenait progressivement malade, ou dément, même si nous devions rester les seuls capables de raison, c'étaient bien nous les fous au regard de la majorité. Et tu m'avais dit cela, tranquillement, car même une sale nouvelle ne peut atteindre ton humeur, ni espacer plus encore tes sourires.

De mon côté, rien de grave, absolument, je n'aurais pas eu peur de vivre seul, si tu avais choisi un crétin comme bacon quotidien, pour donner le change, tout en consommant en sandwich d'autres partenaires, j'aurais respecté ton choix de vie. Je n'en fais pas étalage mais je ne cache point mes faiblesses, elles me sont autant de médailles qui témoignent aussi de mes belles actions. Mais même à présent, réunis et amoureux, il nous reste que peu de temps à goûter la vie ensemble avant que l'on nous sépare.

Gabriel est venu hier matin nous proposer le marché suivant. Il avait négocié une sortie honorable, nous partirions dans le passé rejoindre une possibilité d'avenir meilleur. Cependant, il ne pouvait nous certifier une nouvelle vie heureuse et commune, nous ne saurions plus rien de ces temps-ci, et ce seraient à nos cœurs en sincérité de pouvoir nous reconnaître dans cet en-deçà sous le sceau de la Providence.

C'est pour cela que lorsque je te regarde boire la première à cette coupe...

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